Au pays de la brume éternelle – In Memoriam Morrowind
C’est l’histoire d’un gamin solitaire qui se perd dans le monde virtuel de Morrowind. Il y découvre des contrées magiques où l’aventure le détourne de cette petite bête qui le ronge.
Cependant, à l’horizon, le brouillard perpétuel de ces terres se resserre. Les nuages obscurcissent le ciel. La pluie tombe. Et avec elle, la dépression et la solitude de ce jeune homme se reflètent dans ce paysage devenu sordide.
Mais à force de s’y enfoncer, il y trouvera un trésor inespéré, une présence invisible qui l’aidera à faire face à ses angoisses et lui révèlera un secret pourtant caché sous son nez depuis le début.
Au final, c’est l’histoire d’un gamin solitaire qui s’est trouvé dans le monde virtuel de Morrowind.
Une main tendue
In Memoriam Morrowindest une petite nouvelle qui propose de voyager à nouveau sur les rives du jeu vidéo des années 2000 et qui parlera aux nostalgiques comme aux solitaires. Ils y trouveront une aide et un réconfort, ce que, contre toute attente, j’ai trouvé dans ce jeu vidéo du début des années 2000.
J’y relate comment ce monde virtuel m’a aidé à surmonter des peurs et des angoisses depuis trop longtemps enfuies en moi et que je fuyais à travers les mondes virtuels.
J’espère que les quelques mots de cette nouvelle sera cette main tendue qu’il me manquait et qui vous montrera ce qui se trouve là, caché sous votre nez depuis toutes ces années.
Lorsqu’il sort en 99, l’avance d’Outcast sur le reste du jeu d’aventure est indéniable. Monde ouvert, nature crédible et organique, système de craft et de réputation, IA poussée, aventure non linéaire, … Il a tout pour révolutionner le jeu vidéo. Et pourtant …
Et pourtant, il passe inaperçu, la faute à des choix de développement à la fois indispensable pour rendre de tels environnements, mais qui au final joue contre le titre. Ces choix sont nés des années auparavant, alors que les GPUs n’existaient pas, et les processeurs commençaient à peine à exploser en termes de puissance. Il a donc fallu être visionnaire pour Yves Grolet, Yann Robert et Franck Sauer et envisager des années à l’avance les possibilités des machines de la fin du millénaire.
Les choix technologiques faits, c’est un développement anormalement long pour l’époque qui s’entame, avec son lot de challenges et de problèmes à régler.
Le reportage et quelques bonus
Ce reportage revient en long et en large sur ce développement et vous donne un aperçu de l’industrie et de son fonctionnement, de la recherche d’un éditeur (Infogrames) au rush final. Il aborde également les différentes composantes du jeu et les choix qui les ont guidés avec des détails particulièrement intéressants sur la composition orchestrale de Lennie Moore, le choix stratégique des environnements magique du jeu, celui malheureux du nom du héros, le casse-tête de la non-linéarité de l’histoire ou encore les efforts pour unir des paysages si différents autour d’une même culture et faire vivre au joueur une aventure inoubliable.
Pour réaliser ce reportage, j’ai pu compter sur l’aide précieuse de Franck Sauer (à l’origine du projet avec Yves Grolet et Yann Robert et graphiste/sound designer sur Outcast) et de Douglas Freese (scénariste sur le jeu). Je vous mets d’ailleurs l’intégralité des interviews réalisées ici même.
Juste une question avant de commencer : Avez-vous déjà tué un animal ?
Pas la peine d’être outré, c’est juste une question qui me paraissait importante…
Donc, Elizabeth, c’est l’histoire d’un fou maniaque qui cherche la perfection et qui écrit six cents fois la même phrase, ou chaque phrase six cents fois, je ne sais plus.
En tout cas, il cherche un cœur pour Elizabeth. Elizabeth, c’est sa femme. Elle aussi, elle écrit chaque phrase… humm. Chaque fois, elle écrit une phrase six cents… Non attendez, ce n’est pas ça.
Bref, Elizabeth, c’est sa femme et elle est parfaite, à part son cœur. Son cœur n’est pas parfait. Ce sont les médecins qui le disent.
C’est important un cœur.
C’est important une femme.
En tout cas, sa femme est importante pour lui. Il n’a jamais eu de chance en amour.
Il a bien dû avoir un rendez-vous où il a posé six cents fois la même question… Ou est-ce l’inverse ? Je reprends. Il a bien dû avoir six cents rendez-vous. Six cents rendez-vous où il avait une question qui lui semblait importante à poser. Il a appris qu’apparemment, ce n’était pas une question qu’on posait. Pas à un premier rendez-vous.
Peut-être même pas du tout. Et surtout pas six cents fois. Où l’a-t-il posé une seule fois ? Rhaa, je sais plus.
Tout sera parfait
En tout cas, il a fini par rencontrer la femme parfaite. Elizabeth. Elizabeth qui écrit six cents fois chaque phrase, comme lui écrit chaque fois six cents phrases… Attendez, je me suis gouré, je crois… Enfin bref, Elizabeth qui était parfaite. À part son cœur. Le cœur d’Elizabeth n’était pas parfait.
Et l’homme est parti chercher un nouveau cœur pour que tout soit parfait.
Vous savez ce qu’il faut faire pour avoir un nouveau cœur ?
Ce n’est pas facile, il faut tuer six cents fois un homme et …. Non, ce n’est pas ça non plus. Il faut tuer un homme…
Non je m’embrouille. Je crois que Emmanuel Denise raconte mieux les histoires que moi et je vais le laisser terminer.
Sachez juste que c’était déjà lui derrière A flame in the night et l’écriture est toujours aussi brillante. Il utilise ici beaucoup de répétition pour raconter l’histoire de ce fou maniaque en quête de perfection qui écrit tout six cents fois, histoire d’être sûre que tout soit parfait. C’est un conte horrifique, encore plus que ce que n’était A flame in the night qui était très léger en comparaison. Il n’est plus question de folie douce, mais d’une folie beaucoup plus violente.
Vous retrouvez le même style que A Flame in the Night avec de gros pixels et un mélange de texte, de son et d’image utilisée pour créer le malaise et le dérangeant. Tout est à nouveau en noir et blanc avec des moments où le rouge domine l’écran.
Le conte dure une trentaine de minutes pour voir la fin et je vous mets le lien ici. Forcément, je vous le recommande les yeux fermés que vous vouliez y jouer une fois ou peut-être six cents fois, ça, ça dépend de vos attentes en termes de perfection. Sur ce, je vous laisse en tête à tête avec vos troubles mentaux, surtout si vous avez répondu oui, à la question de l’intro !
Franck Sauer est un artiste touche-à-tout. Avec Yann Robert et Yves Grolet, il est à l’origine d’Appael et du précurseur du jeu d’aventure en monde ouvert Outcast. Sur ce jeu, il a porté les casquettes de directeur, designer, sound designer, graphic designer, et modélisateur 3D. Quoi de plus normal que de lui poser quelques questions pour compléter l’histoire derrière le développement d’un titre révolutionnaire pour son époque ?
(Cette interview a été réalisée pour le reportage sur le développement d’Outcast que vous retrouvez dans le numéro 41 de Pix’n Love)
Lennie Moore, Franck Sauer et Bill Stromberg à Moscou pour enregistrer la bande son d’Outcast (1997). (image reprise du site de Franck Sauer)
Interview de Franck Sauer
Qu’est-ce que vous éprouvez par rapport à Outcast aujourd’hui ? (De façon générale ou par rapport à sa réception critique et publique, ou à son développement)
Je suis très fier d’avoir participé à l’élaboration d’un produit reconnu pour son innovation tant du point de vue technique qu’artistique et gameplay. Il me reste cependant un léger goût amer dû au manque de soutiens de la distribution aux États-Unis à l’époque de la sortie du jeu à cause des tensions internes entre Infogrames et Accolade.
Shamazaar a été la première région créée (déjà à l’époque du prototype). Y a-t-il une raison particulière de commencer par celle-ci ? D’où est venue l’inspiration ?
Le scénario initial se déroulait dans des cartels de la drogue en Amérique du Sud. À cause des contraintes topologiques liées aux voxels, nous avons travaillé pour le premier prototype sur des décors de rizières et des édifices de type inca. La raison étant que les contraintes qu’avaient les Incas pour construire étaient proches de nos contraintes topologiques. Quand le scénario a évolué vers un setting sci-fi, nous avons étendu le prototype et c’est devenu Shamazaar.
La région de Shamazaar, pays des temples et des dieux.
Je n’ai pas trouvé beaucoup de détails sur la création des différentes régions. Qu’est-ce qui a guidé leur création ? Y a-t-il également des inspirations particulières derrière certaines ? Y a-t-il une région en particulier sur laquelle vous avez aimé travailler ?
Les régions ont été créées sur la base de la diversité des biomes. Nous voulions simplement que l’ambiance soit bien distincte d’une région à l’autre. C’est le reflet d’une approche que nous avions eu dans nos jeux précédents comme Agony ou Unreal. Cette diversité apporte de la ‘production value’. Par exemple pour les screenshots dans la presse. Une fois cela en place, ça dirige tout le reste, les sous-quêtes, les pièges, la musique… et pour le joueur cela contribue énormément à l’expérience de vivre une ‘grande’ aventure.
Je n’ai pas trouvé beaucoup d’éléments sur la création de l’histoire, des quêtes et des personnages. Qu’est-ce qui a guidé l’écriture de l’histoire et des quêtes ?
L’histoire a principalement été écrite par Yves qui s’inspirait beaucoup de la littérature scientifique à l’époque. Une fois l’histoire générale en place, Douglas s’est enfermé 15 jours dans son appartement en face des bureaux pour développer l’ensemble des quêtes, c’était un vrai marathon. Sa formation à la foi cinématographique et en jeu vidéo ont été des éléments clés de cette écriture.
Pareil pour la création des personnages et en particulier de Stan Blaskowitz (un nom ressemblant fort au héros de Wolfenstein) : qu’est-ce qui a guidé leur création ?
Nous voulions un personnage à l’identité et à l’image fortes. Dans la grande tradition Disney, Iwan a travaillé sur la silhouette du héros et nous sommes arrivés à ce personnage avec un casque en forme de bec d’oiseau que nous avons appelé Stan Blaskowitz qui n’est pas sans rappeler MKD sorti à peu près à la même époque. Quand le scénario s’est développé, et que le background du héros est devenu militaire, l’équipement du personnage ne collait plus du tout et nous sommes partis sur une silhouette plus conventionnelle avec des vêtements plus fonctionnels et un backpack.
Prototype de Stan Blaskowitz qui deviendra Cutter Slade (image reprise du site de Franck Sauer)
Dans une interview de 2015, il est fait mention que rien ne fonctionnait deux semaines avant la sortie. Quel(s) était/étaient le ou les problèmes exactement ? Comment a-t-il ou ont-ils été surmonté(s) ?
Je ne me souviens plus des détails, mais c’est un phénomène courant en développement. C’est ce que l’on appelle les régressions. Une petite modification de dernière minute peut rendre tout le projet non fonctionnel. Aujourd’hui il y a une multitude d’outils qui permettent de monitorer les régressions et de faire en sorte que cela n’impacte pas la fonctionnalité globale, ou à tout le moins que l’on puisse revenir en arrière sur le point de régression. Ce n’était pas le cas à l’époque, il fallait tout vérifier à la main, et avec la fatigue de fin de projet, rien d’étonnant à ce que cela pète de partout !
Outcast a été développé avec cette volonté d’immerger le joueur et est finalement devenu un précurseur des jeux d’aventure en monde ouvert tel qu’on le connait maintenant. Pendant le développement ou lors de sa sortie, vous aviez conscience que le jeu était avant-gardiste ?
En partie, mais nous étions surtout concentrés sur l’idée de produire le jeu dont nous rêvions pour nous même. À la sortie du jeu, nous étions tellement fatigués, on était juste content d’en avoir terminé. Et puis il y avait ces tensions récurrentes avec l’éditeur ou la distribution, et il fallait tenir le studio à flot en signant rapidement un autre projet ce qui générait beaucoup d’incertitudes et de stress. Ça occupe l’esprit à bien d’autres considérations.
Rétrospectivement, y’a-t-il des choix que vous feriez différemment si vous deviez revenir au début des années 90 et vous lancer à nouveau dans le développement d’Outcast ? Je pense notamment au moteur graphique qui a démarqué le jeu du reste de la production de l’époque, tout en étant un obstacle pour beaucoup de joueurs privilégiant l’usage de leur nouvelle carte graphique.
Difficile à dire. Le principal problème a été la durée de développement trop longue qui a rendu cette technologie obsolète (en partie). C’est un vrai problème pour les grosses productions, si on veut prendre le temps de bien faire les choses on est pratiquement certain d’être obsolète d’un point de vue technologique. Il faut donc arriver à la fois à produire dans un temps raisonnable, mais aussi avoir la capacité d’anticiper la technologie à venir. Nous n’avions ni l’un ni l’autre à cette époque.
Dans une interview, j’ai lu que vous n’étiez plus engagé dans le développement d’Outcast 2 et que vous préfériez vous consacrer à l’enseignement et à divers projets. Est-ce exact ? Quelle est la suite pour vous ? Vous avez encore des projets de créations d’univers virtuels ?
Oui j’ai participé au début du projet, mais je me suis retiré. Je suis en effet sur un projet personnel depuis plusieurs années (dans le domaine du rétro-computing/gaming) et avec ma charge d’enseignant en plus cela faisait trop.
Cette interview de Franck Sauer a été réalisée dans le cadre de mon reportage sur le développement d’Outcast paru dans le Pix’n Love 41.