Franck Sauer est un artiste touche-à-tout. Avec Yann Robert et Yves Grolet, il est à l’origine d’Appael et du précurseur du jeu d’aventure en monde ouvert Outcast. Sur ce jeu, il a porté les casquettes de directeur, designer, sound designer, graphic designer, et modélisateur 3D. Quoi de plus normal que de lui poser quelques questions pour compléter l’histoire derrière le développement d’un titre révolutionnaire pour son époque ?
(Cette interview a été réalisée pour le reportage sur le développement d’Outcast que vous retrouvez dans le numéro 41 de Pix’n Love)
Interview de Franck Sauer
Qu’est-ce que vous éprouvez par rapport à Outcast aujourd’hui ? (De façon générale ou par rapport à sa réception critique et publique, ou à son développement)
Je suis très fier d’avoir participé à l’élaboration d’un produit reconnu pour son innovation tant du point de vue technique qu’artistique et gameplay. Il me reste cependant un léger goût amer dû au manque de soutiens de la distribution aux États-Unis à l’époque de la sortie du jeu à cause des tensions internes entre Infogrames et Accolade.
Shamazaar a été la première région créée (déjà à l’époque du prototype). Y a-t-il une raison particulière de commencer par celle-ci ? D’où est venue l’inspiration ?
Le scénario initial se déroulait dans des cartels de la drogue en Amérique du Sud. À cause des contraintes topologiques liées aux voxels, nous avons travaillé pour le premier prototype sur des décors de rizières et des édifices de type inca. La raison étant que les contraintes qu’avaient les Incas pour construire étaient proches de nos contraintes topologiques. Quand le scénario a évolué vers un setting sci-fi, nous avons étendu le prototype et c’est devenu Shamazaar.
Je n’ai pas trouvé beaucoup de détails sur la création des différentes régions. Qu’est-ce qui a guidé leur création ? Y a-t-il également des inspirations particulières derrière certaines ? Y a-t-il une région en particulier sur laquelle vous avez aimé travailler ?
Les régions ont été créées sur la base de la diversité des biomes. Nous voulions simplement que l’ambiance soit bien distincte d’une région à l’autre. C’est le reflet d’une approche que nous avions eu dans nos jeux précédents comme Agony ou Unreal. Cette diversité apporte de la ‘production value’. Par exemple pour les screenshots dans la presse. Une fois cela en place, ça dirige tout le reste, les sous-quêtes, les pièges, la musique… et pour le joueur cela contribue énormément à l’expérience de vivre une ‘grande’ aventure.
Je n’ai pas trouvé beaucoup d’éléments sur la création de l’histoire, des quêtes et des personnages. Qu’est-ce qui a guidé l’écriture de l’histoire et des quêtes ?
L’histoire a principalement été écrite par Yves qui s’inspirait beaucoup de la littérature scientifique à l’époque. Une fois l’histoire générale en place, Douglas s’est enfermé 15 jours dans son appartement en face des bureaux pour développer l’ensemble des quêtes, c’était un vrai marathon. Sa formation à la foi cinématographique et en jeu vidéo ont été des éléments clés de cette écriture.
Pareil pour la création des personnages et en particulier de Stan Blaskowitz (un nom ressemblant fort au héros de Wolfenstein) : qu’est-ce qui a guidé leur création ?
Nous voulions un personnage à l’identité et à l’image fortes. Dans la grande tradition Disney, Iwan a travaillé sur la silhouette du héros et nous sommes arrivés à ce personnage avec un casque en forme de bec d’oiseau que nous avons appelé Stan Blaskowitz qui n’est pas sans rappeler MKD sorti à peu près à la même époque. Quand le scénario s’est développé, et que le background du héros est devenu militaire, l’équipement du personnage ne collait plus du tout et nous sommes partis sur une silhouette plus conventionnelle avec des vêtements plus fonctionnels et un backpack.
Dans une interview de 2015, il est fait mention que rien ne fonctionnait deux semaines avant la sortie. Quel(s) était/étaient le ou les problèmes exactement ? Comment a-t-il ou ont-ils été surmonté(s) ?
Je ne me souviens plus des détails, mais c’est un phénomène courant en développement. C’est ce que l’on appelle les régressions. Une petite modification de dernière minute peut rendre tout le projet non fonctionnel. Aujourd’hui il y a une multitude d’outils qui permettent de monitorer les régressions et de faire en sorte que cela n’impacte pas la fonctionnalité globale, ou à tout le moins que l’on puisse revenir en arrière sur le point de régression. Ce n’était pas le cas à l’époque, il fallait tout vérifier à la main, et avec la fatigue de fin de projet, rien d’étonnant à ce que cela pète de partout !
Outcast a été développé avec cette volonté d’immerger le joueur et est finalement devenu un précurseur des jeux d’aventure en monde ouvert tel qu’on le connait maintenant. Pendant le développement ou lors de sa sortie, vous aviez conscience que le jeu était avant-gardiste ?
En partie, mais nous étions surtout concentrés sur l’idée de produire le jeu dont nous rêvions pour nous même. À la sortie du jeu, nous étions tellement fatigués, on était juste content d’en avoir terminé. Et puis il y avait ces tensions récurrentes avec l’éditeur ou la distribution, et il fallait tenir le studio à flot en signant rapidement un autre projet ce qui générait beaucoup d’incertitudes et de stress. Ça occupe l’esprit à bien d’autres considérations.
Rétrospectivement, y’a-t-il des choix que vous feriez différemment si vous deviez revenir au début des années 90 et vous lancer à nouveau dans le développement d’Outcast ? Je pense notamment au moteur graphique qui a démarqué le jeu du reste de la production de l’époque, tout en étant un obstacle pour beaucoup de joueurs privilégiant l’usage de leur nouvelle carte graphique.
Difficile à dire. Le principal problème a été la durée de développement trop longue qui a rendu cette technologie obsolète (en partie). C’est un vrai problème pour les grosses productions, si on veut prendre le temps de bien faire les choses on est pratiquement certain d’être obsolète d’un point de vue technologique. Il faut donc arriver à la fois à produire dans un temps raisonnable, mais aussi avoir la capacité d’anticiper la technologie à venir. Nous n’avions ni l’un ni l’autre à cette époque.
Dans une interview, j’ai lu que vous n’étiez plus engagé dans le développement d’Outcast 2 et que vous préfériez vous consacrer à l’enseignement et à divers projets. Est-ce exact ? Quelle est la suite pour vous ? Vous avez encore des projets de créations d’univers virtuels ?
Oui j’ai participé au début du projet, mais je me suis retiré. Je suis en effet sur un projet personnel depuis plusieurs années (dans le domaine du rétro-computing/gaming) et avec ma charge d’enseignant en plus cela faisait trop.
Cette interview de Franck Sauer a été réalisée dans le cadre de mon reportage sur le développement d’Outcast paru dans le Pix’n Love 41.
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